La défense animale : un combat rythmé par les sciences

La cause animale, défendue depuis l’Antiquité mais longtemps marginalisée, atteint aujourd’hui une envergure notable avec 82 % des Français se disant favorables à la création d’une constitution gouvernementale dédiée, selon un sondage Ipsos datant de 2024. Comment ce combat a-t-il pris une telle ampleur ? Jérôme Michalon, sociologue au CNRS, nous éclaire à ce propos.

La lutte animale comme moyen d’éducation

Les premières mobilisations d’ampleur liées à la cause voient le jour au XIXe siècle et appellent à une représentation politique des animaux, donnant naissance aux premières lois de protection animale comme le Martin’s Act (1822) au Royaume-Uni et la Loi Grammont (1850) en France. Ce sont initialement les élites sociales qui souhaitent protéger les animaux d’élevage (chevaux, bovins…) d’éventuelles maltraitances.

Pourtant, ce désir de protéger les animaux est utilisé comme un moyen d’éduquer les milieux populaires, comme l’explique Jérôme Michalon : « Les élites partent du postulat que ces comportements violents, initialement destinés aux animaux, pourraient être par la suite dirigés vers les humains ». C’est une période de protection dite « démopédique », dans laquelle il s’agit d’éduquer le peuple. En ce sens, le combat reste encore majoritairement anthropocentré (centré sur les humains) : il ne s’agit pas de défendre la cause animale pour encourager le bien-être des animaux, mais plutôt pour servir une meilleure relation entre humains.

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La science, levier d’un combat au bénéfice des animaux

La cause animale prend une tournure radicale dès 1870. Le paysage sociologique change avec « des femmes appartenant à l’élite culturelle et aux classes moyennes supérieures », précise Jérôme Michalon. Ce changement, expliqué dans son ouvrage Sociologie de la cause animale (La découverte, 2023), co-écrit avec les sociologues Antoine Doré et Fabien Carrie, est marqué par une opposition à une pratique scientifique innovante pour l’époque : la vivisection. Un bras de fer s’installe alors entre les scientifiques qui défendent ces expérimentations sur animaux vivants, et les militants qui les qualifient d’intolérables.

Pourtant, paradoxalement, les souffrances engendrées par cette pratique permettent une évolution qui sera le pivot de la lutte : la reconnaissance de la souffrance animale.

Une réelle expertise sur le fonctionnement et la sensibilité des animaux émerge.
Jérôme Michalon
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Une scientifisation de la cause

Le combat se scientifise au début du XXe siècle alors qu’une « réelle expertise sur le fonctionnement et la sensibilité des animaux émerge », souligne Jérôme Michalon.

Autour des années 1970, des penseurs américains comme Peter Singer et Tom Reagan s’appuient sur ces recherches pour construire une conception philosophique et politique systémique toute nouvelle. Jérôme Michalon souligne cette transition : « Jusque-là, les critiques sur la condition animale se focalisaient uniquement sur certaines espèces ou pratiques ».

Ces travaux font émerger des termes tels que « l’antispécisme », « la libération animale » qui constitueront la base des discours militants, et « donneront lieu à la création d’associations animalistes, telles que PETA (1980) », illustre le chercheur.

Ce combat durement mené a porté ses fruits, puisque de nos jours la question n’est plus de savoir s’il faut respecter les animaux, mais plutôt comment les respecter.

Actuellement, les recherches sur les animaux se multiplient, de par le développement de disciplines dédiées à la thématique telles que l’éthologie. Ces changements permettront sûrement une amélioration des connaissances actuelles sur le fonctionnement des animaux.

En somme, l’histoire de la lutte animale dépeint deux époques empreintes de motivations bien distinctes. D’abord anthropocentrée, puis elle s’est ensuite tournée vers un engagement au bénéfice des animaux. L’élément majeur expliquant cette réorientation du combat reste l’avancée scientifique, permettant la mise en lumière de la souffrance animale. Si le respect des animaux dépend des progrès scientifiques, ces deux disciplines pourraient continuer à évoluer de concert.

 

Julia Fernandez