D’où vient notre pensée ?
Où trouver les origines de la pensée occidentale ? La réponse la plus souvent donnée, c’est la Grèce antique. Toutefois, la philosophie a-t-elle vraiment « émergé » comme par miracle ? Tour d’horizon du sujet entre les philosophes présocratiques, leurs sources d’inspiration et leur impact sur la philosophie.
Remonter le temps et tenter de trouver les origines d’une pensée ne sont pas chose aisée. Qu’entendons-nous par « pensée occidentale » ? Un ensemble d’idées et de valeurs largement partagées dans les pays dits « du nord », historiquement dominants.
De nombreux échanges culturels l’ont influencé : l’idée d’un début unique paraît d’emblée discutable. La philosophie et son histoire peuvent cependant apporter des éléments de réponse quant aux périodes les plus anciennes vers lesquelles la recherche a pu remonter le fil des écrits, soit l’Antiquité grecque.
Pourquoi parler des présocratiques ?
Socrate, philosophe du Vème siècle avant J-C, est une figure assez imposante pour que l’ensemble des penseurs grecs l’ayant précédé, et certains contemporains, soient collectivement appelés philosophes présocratiques. Qu’est-ce qui le différencie, cependant, de ces derniers ?
« Déjà les penseurs anciens, les Grecs et les Latins, avaient conscience que Socrate avait introduit dans l’histoire de la pensée une rupture, une nouvelle façon de philosopher », répond André Laks, historien de la philosophie et spécialiste des présocratiques. Dans l’Antiquité, certains pensent qu’ils s’opposent par leurs objets d’étude. Les présocratiques ne se seraient intéressés qu’à la nature, là où Socrate aurait été le premier à se pencher sur des problèmes humains, notamment éthiques. Pour d’autres, il s’agit plutôt d’un changement de méthode, avec le développement de la dialectique, c’est-à-dire de la mise en opposition de différentes idées, afin d’en faire ressortir un savoir nouveau.
Les idées des présocratiques n’ont pas été oubliées. « Les philosophes, à partir de Platon, […] s’intéressent à ce qui s’est passé avant eux, précise le chercheur. Ils commencent d’une part à citer, et d’autre part à résumer, les théories qui leur sont antérieures. » C’est notamment le cas d’Aristote, grâce à qui nombre de thèses ont ainsi pu parvenir jusqu’à nous. Pour l’auteur de l’Introduction à la ‘philosophie présocratique’ (PUF, 2006), « ce sont des problèmes qui ont alimenté l’histoire de la pensée occidentale. Par exemple, la relation entre le fini et l’infini, […] la notion de vertu, […] la question de savoir si le monde est né ou pas […] », et encore bien d’autres. Au 20e siècle encore, l’épistémologue Karl Popper a vu dans les présocratiques les inventeurs de modes de raisonnement ayant mené à son modèle de la méthode scientifique.
Comment lire les présocratiques ?
Les écrits des présocratiques sont fragmentaires. Dans certains cas, comme ceux de Thalès ou de Pythagore, il n’existe même aucun texte. Les auteurs postérieurs, souvent de nombreux siècles, leur prêtent des idées qu’ils n’ont pas pu soutenir.
La question de leur authenticité se pose, et c’est là que la philologie entre en jeu. Cette discipline consiste en l’étude des textes anciens. Il faut, par exemple déterminer si les termes employés dans un extrait sont compatibles avec le grec du temps de l’auteur. « Les philosophes néoplatoniciens, par exemple, font dire à Pythagore – dans lequel ils reconnaissent un ancêtre – des choses dont on sait que Pythagore n’a pas pu les dire, parce qu’elles sont exprimées en des termes, ou énoncent des idées, dont on sait qu’elles lui sont postérieures », explique le philologue.
Les traditions liées à ces figures peuvent aussi apporter des indices quant à leurs possibles inspirations. Ainsi, les récits attribués à Thalès évoquent des voyages en Égypte. Le fait que le pharaon Amasis ait mené à cette période une politique ouverte vis-à-vis du monde grec appuie l’idée d’une influence égyptienne. Une empreinte plus marquée des sciences babyloniennes et iraniennes peut en outre être perçue chez certains présocratiques, par exemple Anaximandre.
Pourquoi s’intéresser aux origines ?
De Platon et ses héritiers à aujourd’hui, cette question fascine. Longtemps en Europe a été défendue l’idée d’un « Miracle grec », d’une émergence unique au monde d’une pensée rationnelle, voire scientifique.
Cette idée naïve est désormais remise en question par les spécialistes, qui insistent à la fois sur la continuité liant les philosophies présocratiques avec la pensée religieuse et poétique, et sur le fait qu’il existe bien d’autres philosophies et rationalités – chinoises, indiennes, africaines – que la philosophie grecque.
Au fond, chercher les origines de la pensée occidentale, c’est souvent chercher à se donner une légitimité. Il est confortable, dans un débat, de revendiquer une filiation avec ceux qui auraient été à l’origine de la rationalité.
Maëlig Sipahimalani