L’animation 2D se réinvente : un savant mélange entre modernité et tradition

Sur nos écrans et au cinéma, l’animation 3D s’est imposée, éclipsant souvent les approches plus traditionnelles du cinéma d’animation. Pourtant, certains studios continuent à valoriser les techniques classiques de l’animation 2D. Au Japon notamment, les « animés » perpétuent les codes de cette forme d’art, redonnant ses lettres de noblesse à un style qui a bien évolué depuis les premières expérimentations, notamment de Disney, dès les années 1920-30.

Pierre Bénard, à la tête du projet « MoStyle » et chercheur au sein de l’équipe Manao commune à l’Inria et au LaBRI (Université de Bordeaux, CNRS, Bordeaux INP), partage sa vision : réinventer et simplifier l’animation 2D grâce aux avancées technologiques. Le chercheur bordelais espère ouvrir la voie à une nouvelle manière de créer, où la modernité se mettrait au service d’une tradition bien ancrée.
L’animation traditionnelle a pris son essor avec les films de Disney (années 1930), qui ont marqué l’enfance de générations entières. Au Japon, des maîtres comme Hayao Miyazaki du studio Ghibli, ont su sublimer cet art en y infusant poésie et dynamisme, par l’enchaînement délicat de chaque dessin.

Computer Graphics Forum (Eurographics), 2023, 42, pp. 411-425 © Pierre Bénard / MoStyle
Computer Graphics Forum (Eurographics), 2023, 42, pp. 411-425 © Pierre Bénard / MoStyle

Les cellulos, empreinte indélébile de l’animation traditionnelle

Au XXème siècle, l’animation reposait sur un travail minutieux, image par image, sur papier puis sur des feuilles de celluloïds (aussi appelées cellulos) transparentes. Les animateurs devaient reproduire chaque dessin avec soin, permettant de donner « vie » à l’œuvre. Cette méthode se retrouve dans les œuvres emblématiques du studio Ghibli, où une compréhension fine des mouvements, des corps et des expressions était essentielle pour immerger le spectateur dans un univers onirique. Il fallait compter sur 12 à 24 dessins par seconde, ramenés à 24 images afin de correspondre d’une part au standard du cinéma et d’autre part donner l’illusion d’un mouvement naturel.

Entre deux images, toute une histoire

Le principe fondamental de l’animation repose sur un duo d’images : une première marque le début de l’action, et une seconde marque la fin. On les appelle : images clés. Cette tâche revient à un animateur principal, aussi appelé key animator, qui indique l’idée et l’action qu’il souhaite transmettre à travers ces images. « À partir de là, un autre animateur, l’intervalliste, vient créer le mouvement continu », précise le chercheur. Il se charge de dessiner toutes les images intermédiaires, créant un lien entre les images clés A et B.
Comme le souligne Pierre Bénard, sans cette étape, « l’animation serait très saccadée, comme du stop motion ». Le stop motion repose sur une animation où chaque pose est capturée individuellement, où la fréquence d’images intermédiaires est beaucoup moins importante. Pourtant, ce travail, bien qu’essentiel, peut se révéler contraignant. Aujourd’hui, des solutions sont explorées pour optimiser ce processus et gagner en efficacité. Le défi est de réduire le temps consacré à la réalisation des intervalles, une tâche indispensable mais souvent répétitive.

L’objectif n’est pas de remplacer les animateurs (…) mais d’optimiser une étape qui laisse peu de place à la créativité.
Pierre Bénard

L’algorithme donne le rythme

Devant un travail répétitif et exigeant, les animateurs explorent de nouvelles solutions. Avec l’essor de l’intelligence artificielle (IA), on pourrait penser que celle-ci serait la réponse. Pourtant, Pierre Bénard a choisi une autre voie : un algorithme qui, sans apprendre par lui-même, assiste l’animateur pour simplifier l’interpolation, c’est-à-dire la création des images intermédiaires entre deux images clés. Comme l’explicite Pierre Bénard : « L’objectif n’est pas de remplacer les animateurs — surtout les key animators qui tiennent une place centrale — mais d’optimiser une étape qui laisse peu de place à la créativité. »

Alors, comment fonctionne cet algorithme ? Il repose sur une décomposition du dessin en plusieurs parties distinctes, regroupant des traits qui se déplacent ensemble, un peu comme des calques. Ces parties permettent à l’animateur de décider précisément comment chaque segment évolue entre deux images clés. L’algorithme ne génère pas de nouveaux traits ; il déforme simplement l’image A pour l’amener vers sa position finale en B. « Une approche automatique est vouée à échouer », affirme Pierre Bernard. L’outil reste ainsi semi-automatisé, donnant à l’animateur la liberté et le contrôle nécessaires pour conserver toute l’authenticité du rendu final.
Certaines écoles d’animation françaises mettent aujourd’hui l’accent sur l’apprentissage de la 3D. Cependant, l’animation 2D conserve un attrait certain. Des studios français comme Fortiche combinent des éléments 2D et 3D pour un rendu visuel unique, en témoigne la série d’animation Arcane. Avec l’évolution constante des technologies, comme l’IA générative, les standards de l’animation sont aussi appelés à changer, ouvrant la voie vers de nouveaux horizons.

Computer Graphics Forum (Eurographics), 2023, 42, pp. 411-425 © Pierre Bénard / MoStyle
Computer Graphics Forum (Eurographics), 2023, 42, pp. 411-425 © Pierre Bénard / MoStyle

Victor Maillot