Comment les dents nous mâchent l’histoire de l’évolution humaine
Les dents fossilisées offrent aux paléoanthropologues une mine d’informations sur l’évolution humaine, révélant les régimes alimentaires, les environnements et les adaptations des premiers humains. En Afrique comme en Asie, ces découvertes montrent comment les changements climatiques et les migrations ont façonné notre espèce.
Des milliers, voire des millions d’années et pas toutes leurs dents… Ce sont les fossiles qu’étudie Clément Zanolli, paléoanthropologue au laboratoire PACEA, à l’université de Bordeaux. Cependant, c’est bien sur les dents que se concentrent ses recherches, lui permettant d’étudier l’émergence du genre Homo et la diversité des espèces d’hominidés ayant existé, et parfois coexisté, durant des périodes anciennes jusqu’à il y a 100 000 ans, nous offrant alors un éclairage inédit sur nos racines.
Des dents comme archives de l’évolution humaine
Les dents fossiles représentent une source précieuse d’informations pour les chercheurs. Clément Zanolli nous éclaire sur les ressources inestimables pour retracer l’évolution humaine, que sont les dents fossilisées. En effet, il explique que : « les dents sont une sorte de boîte noire de la vie de l’individu », préservant des détails cruciaux sur les modes de vie, les relations entre espèces et les adaptations évolutives.
Grâce à des techniques avancées comme l’imagerie aux rayons X, les scientifiques explorent l’intérieur de ces fossiles sans les endommager. La jonction entre l’émail et la dentine (en bleu sur le schéma) est propre à chaque espèce, et est particulièrement utile pour distinguer les espèces, car elle conserve les caractéristiques morphologiques même lorsque la surface de la dent est abîmée, ce qui est souvent le cas avec des fossiles. Par exemple, les néandertaliens et les Homo sapiens se distinguent par la morphologie de cette jonction émail-dentine.
En étudiant la morphologie interne, les chercheurs peuvent suivre l’évolution des hominidés sur plusieurs millions d’années. Ses recherches montrent aussi que les dents contiennent des traces de régime alimentaire, ce qui permet de comprendre le mode de vie et l’environnement des anciens hominidés.
Explorer les écosystèmes anciens à travers des fossiles
Grâce à de nombreuses fouilles réalisées sur des sites en Afrique et en Asie, nous pouvons à présent mieux appréhender les environnements des premiers humains. Avec les méthodes archéologiques modernes, chaque fossile est analysé dans son contexte géologique pour reconstituer l’écosystème d’autrefois. En effectuant des analyses invasives des fossiles, pour détecter les isotopes présents dans les dents, ainsi qu’avec l’observation des micro-usures, il devient possible de déterminer si les hominidés vivaient dans des environnements ouverts tels que les steppes et les prairies ou dans des milieux forestiers, et quelle était leur alimentation.
En Asie comme en Afrique, les découvertes diffèrent en fonction des époques et des conditions climatiques, montrant comment les changements environnementaux ont façonné les adaptations des différentes espèces humaines. Cela est particulièrement évident dans l’évolution des habitudes alimentaires, avec le passage de régimes principalement herbivores à une alimentation riche en protéines animales, marquant un tournant important dans l’évolution humaine, particulièrement chez Homo erectus (-1,9 millions d’années à -300 000 ans).
Migrations et adaptations récentes d’Homo sapiens
La génétique et la paléoanthropologie révèlent également une histoire migratoire plus complexe et ancienne que ce que l’on croyait. Des fossiles retrouvés en Afrique montrent que les humains modernes existaient déjà il y a 300 000 ans, et des fossiles en Asie, vieux de 100 000 ans, suggèrent que les premières migrations ont eu lieu bien avant les 50 000 ans précédemment estimés. Ces découvertes soulignent que l’histoire de l’évolution humaine est remplie de diverses lignées, dont certaines se sont éteintes, tandis que d’autres ont contribué à la diversité génétique actuelle.
Les humains modernes, Homo sapiens, se démarquent profondément de leurs ancêtres du genre Homo. Contrairement à nos ancêtres du Pléistocène (remontant avant -11 700 ans), qui partageaient de nombreuses similarités avec les néandertaliens, les Homo sapiens actuels présentent une morphologie distincte. Au fil des millénaires, notre espèce a évolué vers une mâchoire réduite et de plus petites dents, entraînant par exemple des difficultés pour le développement de la troisième molaire, la fameuse dent de sagesse. Parallèlement, notre neurocrâne s’est agrandi, reflétant des changements dans nos capacités cognitives et dans notre mode de vie. Cette évolution physique est étroitement liée aux transformations sociales et environnementales.
Depuis l’Holocène, soit les 10 000 dernières années, l’humain a adopté de nouvelles pratiques, telles que la sédentarisation, l’agriculture, et plus tard, l’industrialisation. Ces changements ont réduit le besoin de certaines capacités de survie qui étaient cruciales pour nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, comme une vision accrue ou une région olfactive développée. Les adaptations morphologiques se sont ainsi orientées vers un mode de vie moins exigeant physiquement, mais plus complexe socialement.
Maxime Bergeon