Aux origines de l’Homme anatomiquement moderne
Chantal Tribolo
Chantal Tribolo est spécialiste en géochronologie au laboratoire Archéosciences Bordeaux*. Elle s’intéresse aux premières cultures des Hommes anatomiquement modernes, celles du Middle Stone Age en Afrique subsaharienne, et cherche avant tout à en établir la chronologie.
Assise entre la porte d’entrée automatique du laboratoire Archéosciences Bordeaux et la machine à café, il ne faut pas longtemps pour que Chantal Tribolo nous transporte au Middle Stone Age (300 000 à 30 000 ans avant le présent) en Afrique du Sud. Cette passion pour l’archéologie, il n’y a pas besoin de fouilles et d’analyses d’échantillons en laboratoire pour la dater. Elle provient d’un cours sur Pompéi présenté par une enseignante de son école primaire. Elle est ensuite alimentée par des articles de journaux sur les sites archéologiques locaux que lui conservait sa grand-mère et par des bénévolats sur des chantiers dès ses 15 ans. D’ailleurs, dans quelques jours, la chercheuse prendra l’avion pour rejoindre ses collègues sur une campagne de fouilles. Dans ses bagages, il y aura comme d’habitude une lampe frontale de lumière rouge, des sachets opaques pour ses prélèvements, des dosimètres, un pistolet à air chaud et de la gaine thermo-rétractable, un carnet, une pince et une truelle … Un tel attirail ne l’a pourtant jamais empêchée de passer les douanes.
Feldspath et quartz
Chantal Tribolo n’est pas archéologue. Après des études en sciences physiques à Paris, elle poursuit son cursus sur les méthodes physiques en archéologie et en muséographie à Bordeaux. Elle allie ainsi sa passion pour l’archéologie et ses compétences en sciences physiques et mathématiques. Sa spécialité est la luminescence stimulée, soit la datation des minéraux présents dans les sédiments, les roches et les céramiques.
Contrairement à la datation radiocarbone, cette technique permet de remonter jusqu’à 200 000 ans avec un échantillon de quartz et 500 000 ans avec un échantillon de feldspath. Ces deux minéraux se retrouvent partout dans le monde. Leurs propriétés physiques les rendent particulièrement intéressants pour cette technique : ils sont sensibles à la radioactivité ambiante et à la lumière. « Les minéraux, quartz et feldspath, se comportent comme des batteries rechargeables. » précise la scientifique. La radioactivité remplit la batterie, la lumière du jour la vide.
La directrice de recherche collecte donc les échantillons de nuit, à la lampe rouge, parfois sous l’œil de ses confrères et consœurs qui dégustent un apéritif en l’attendant. Ils sont scellés dans les sachets opaques. Avec les dosimètres, elle mesure la radioactivité du chantier de fouilles, notamment pour connaître l’hétérogénéité de l’environnement des prélèvements.
Chantal Tribolo préfère se rendre sur place pour voir les lieux, s’en imprégner et discuter avec ses collègues archéologues pour apprécier ce qu’ils recherchent. Elle aime les paysages, les rencontres et les girafes croisées le soir sur le chemin du travail. De retour au laboratoire bordelais, de longues heures d’expérimentation et d’analyse patientes l’attendent dans les salles noires « comme des labos photos » : les temps de préparations et de mesures sont importants. Il faut éliminer la matière organique, les carbonates pour ne garder que des grains de quartz et de feldspath. De plus, « chaque grain de quartz, chaque grain de feldspath est un peu différent et a sa propre petite caractéristique et on va devoir à chaque fois s’adapter à ses caractéristiques ». La mesure par luminescence stimulée sur ces grains permet de déduire le temps écoulé depuis que l’échantillon a été exposé à la lumière. Les échantillons rassemblés lors de ses voyages (1 à 3 par an) occupent ainsi largement le reste de l’année.
Le cadre de l’étude du site paléolithique de Bambata (fouilles de Joseph Matembo, Université du Cap). Matopos, Zimbabwe, Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2003.
Remonter aux origines
Les informations que la géochronologue recueille servent aux spécialistes de la préhistoire pour essayer de comprendre l’origine des comportements « modernes », de l’homme actuel. Quand elle a commencé sa thèse, on pensait que le développement des capacités cérébrales de l’être humain datait du paléolithique supérieur. On cherchait alors à dater l’apparition de ce comportement complexe et « moderne » en Afrique. L’étude des assemblages des sites de Howieson’s Poort et Still bay où l’on trouve gravures, usages de symboles et nouvelles façons de tailler les outils, a permis de remettre en question cette hypothèse chronologique. Par la suite, Chantal Tribolo ne quitte plus la préhistoire africaine. Son projet actuel concerne 8 sites archéologiques en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Avec son collègue archéologue Guillaume Porraz, ils cherchent à relier l’origine des comportements complexes du Middle Stone Age avec l’apparition des San, les peuples autochtones du sud de l’Afrique au Later Stone Age (période suivant le Middle Stone Age, environ de 50 000 à 8 000 ans). En parallèle, elle continue de travailler au Sénégal dans la vallée de la Falémé, et en Ethiopie. Les « séquences chronoculturelles » du Middle Stone Age y ont évolué de façon différente de l’Afrique australe. « C’est un travail de fourmi [pour reconstituer l’histoire humaine en Afrique, NDA] auquel [elle] apporte [sa] petite pierre ».
*Archéosciences Bordeaux : CNRS, Université Bordeaux Montaigne, université de Bordeaux et Ecole Pratique des Hautes Etudes
Écrit par Judith Bourguille