L’humour et le rire : héritage ancien et miroir de nos sociétés
Depuis le Moyen Âge jusqu’à aujourd’hui, l’humour n’a pas toujours occupé la même place. Il reste un langage universel, bien que façonné par le contexte social et culturel. L’humour est une facette du rire qui, lui, peut être destiné à différentes formes sociales.
L’humour, cette forme d’esprit qui souligne le caractère comique, plaisant, insolite ou ridicule de certains aspects de la réalité n’a pas toujours existé sous cette forme. Pour David Le Breton, professeur de sociologie et d’anthropologie à l’Université de Strasbourg, l’humour permet une « prise de distance au regard du monde face au monde » qui crée un espace de partage.
Au-delà d’un simple rire, c’est l’expression d’une analyse intuitive qui, par un décalage subtil, révèle les non-sens du quotidien. « Nous ne pouvons déterminer l’origine de l’humour tout comme nous ne pouvons déterminer l’origine du tatouage car cela appartient à la condition humaine », explique David Le Breton. Le rire quant à lui, était considéré comme une expression bestiale, voire diabolique et une menace pour l’ordre social au Moyen Âge. Il a même été condamné par des théologiens comme Saint-Augustin (4e siècle) l’associant au péché. A partir de la Renaissance (14e siècle), des figures comme l’écrivain François Rabelais, vers l’année 1500, valorise le rire comme une marque de l’humanité et une méfiance s’installe à l’égard des personnes qui ne rient pas.
Les figures de l’humour, se manifestent très tôt dans l’histoire humaine. Elles prennent une place singulière à partir de la Renaissance, où le terme « humour » s’enracine dans les sociétés qualifiées aujourd’hui d’« européennes ». En effet, ce n’est qu’à partir du 12e siècle que ce terme s’inscrit en Angleterre. À cette époque, l’individualité émerge dans les relations sociales, incitant chacun à relativiser le monde environnant. Des traités de savoir-vivre, tels que ceux analysés par Érasme, philosophe néerlandais, prônent un rire discret, sous forme contrôlée, dans un contexte où la société cherche à encadrer la manière de rire pour qu’il reste dans les normes.
Humour, rire et culture : une diversité d’expressions
Le rire est culturel avant d’être naturel. Ainsi, chaque société développe ses propres codes et normes autour du rire. « Le rire n’existe pas à l’état naturel », explique David Le Breton : il est ritualisé et souvent très codifié. En effet, même chez les animaux, chez les singes, les chiens, les perroquets, le rire apparaît dans leur langage qui est, lui aussi, influencé par leurs conditions propres et leurs normes sociales.
D’une culture à l’autre, les manifestations du rire varient. La façon de rire, les formes du rire et les circonstances où cela est accepté reflètent des contextes historiques et culturels spécifiques. De même, les sujets qui prêtaient à rire autrefois ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Les plaisanteries autour de l’infidélité conjugale, autrefois fréquentes, ont été remplacées par d’autres codes d’humour apparus en fonction de l’évolution des sensibilités. Dans notre société contemporaine, l’humour est de plus en plus confronté aux limites du politiquement correct.
Transformations des mentalités et de l’humour
Les humoristes sont de véritables funambules qui oscillent entre les nombreux sujets considérés offensants et abordent malgré tout des sujets sensibles. Les mentalités changent et évoluent, en se rappelant des humoristes des années 1970-1980, comme Coluche ou Pierre Desproges, qui abordaient des thèmes provocants avec moins de crainte. Certains humoristes sont maintenant parfois convoqués devant la justice.
Selon David Le Breton, cette situation illustre la complexité pour les humoristes d’exercer leur art dans une société où les sensibilités, influencées par la visibilité croissante des groupes sociaux, deviennent plus marquées. Cette évolution, selon lui, montre comment « l’humour s’adapte aux changements sociaux tout en continuant de refléter les tabous d’une époque ». L’humour est le reflet des sensibilités d’une époque et se redéfinit constamment. Ce n’est pas le signe d’un appauvrissement du rire, mais cela témoigne plutôt des transformations culturelles. À chaque époque, les codes de l’humour s’adaptent aux contextes sociaux et culturels. « Le rire est éminemment social et historique », rappelle-t-il, et il est influencé par les transformations des valeurs et des normes.
Des formes diverses
En résumé, les origines des formes de l’humour sont aussi variées que complexes. Il n’y a pas de point de départ fixe décelé mais plutôt une évolution avec l’humanité pour répondre aux besoins de chaque époque, de chaque culture et de chaque société. Comme l’explique David Le Breton, l’humour est bien plus qu’un simple divertissement, c’est une forme de résistance aux pressions sociales, un mode de communication qui permet d’être critique et de porter une réflexion sur la société tout en tissant des liens entre les individus. L’humour est devenu essentiel, représentant une forme de liberté dans une société où nos relations sociales sont aussi complexes que le monde qui nous entoure, et révèle autant notre passé que notre présent.
Pauline Manicacci