BOUH ! La chimie de la peur, exemple du cinéma

La peur est un sentiment qui fascine, notamment dans le cas des films d’épouvante. Le genre horrifique, aux côtés de la science-fiction et du fantastique, représente 28 millions d’entrées au cinéma depuis 20 ans. Afin de comprendre l’impact de ce phénomène sur nos corps, nous avons interrogé Julien Courtin, chercheur à Bordeaux Neurocampus.

Tempête sous un crâne

Concrètement, que signifie la peur dans notre cerveau, notre organisme ?

La première chose à comprendre, c’est que la peur est la détection d’un danger, d’une atteinte à notre intégrité. Julien Courtin explique notamment que « la plupart des neuroscientifiques voient le cerveau comme une machine à prédire tout ce qui va se passer dans l’environnement », la peur apparaît alors comme un mécanisme de protection.

La réaction est rapide : après détection par nos cinq sens, en moins d’une seconde, le cerveau produit une vague chimique. Une flopée de neurotransmetteurs va parcourir nos synapses pour avertir le cortex préfrontal du danger imminent. Cela va déclencher l’activation de l’amygdale qui elle-même va stimuler la production d’hormones, pour réagir face à cette attaque.

« Le cerveau produit une vague chimique »
Julien Courtin

Nous expérimentons alors l’accélération de notre rythme cardiaque : le cœur pompe plus de sang, notre pupille se dilate pour mieux percevoir le danger, ou nous transpirons afin de réguler la température de notre corps… Tout ceci n’est qu’une suite de réactions chimiques qui nous pousse à l’objectif primaire de notre organisme : survivre.

Le corps dans tous ses états

Concrètement, la peur entraîne des réactions au niveau de notre cerveau. Seulement, notre corps va réagir tout autant ! Pour étudier ce comportement, on utilise en laboratoire des souris, pour observer quelles réactions celles-ci peuvent présenter. Trois comportements distincts apparaissent :

  • Le freezing : le sujet se fige face aux stimuli
  • L’escape behavior : le sujet cherche à s’échapper
  • L’extinction : si trop exposé aux stimuli, le sujet finit par ne plus réagir
 

Nos réactions peuvent ainsi varier face à la peur : chacun possède une sensibilité différente face aux stimuli. Cela est vérifiable notamment pour les phobies : pour certains, les informations dans notre cerveau liées à un danger sont encodées de manière à bloquer toute autre mémorisation. Alors à la vue d’un élément lié à ses propres expériences (araignée, serpent, vide…), le cerveau choisira de se figer ou de fuir.

Microscope utilisé dans le laboratoire de Julien Courtin pour étudier des coupes fines de cerveau de souris © Solenn Buan
Ambiance de films d’horreur incitant à l’angoisse : peu de lumière, aspect glauque, filmé à la première personne © Unsplash
Ambiance de films d’horreur incitant à l’angoisse : peu de lumière, aspect glauque, filmé à la première personne © Unsplash

Frissons et salles obscures

Pour certains, la peur passe avant tout par les films, avec le cinéma d’horreur. Grande part de notre paysage audiovisuel, plus d’un film sur 10, sortis entre 1960 et 2023, sont des longs-métrages d’horreur. Mais d’où vient cette fascination ?

Au cinéma, dans la vie réelle, le cerveau se donne pour mission de prédire les événements. Or, dans le cadre d’un stimulus qui nous surprend, l’anticipation arrive trop tard. C’est le cas des jump scare (sursaut d’horreur), moment des films d’horreur où surgit de nulle part une entité, accompagné d’un son fort. Le corps produit alors de l’adrénaline, qui va stimuler la production de la dopamine, hormone du plaisir et de la récompense. Cela peut ainsi expliquer le sentiment grisant qui peut être ressenti lorsqu’on visionne des films d’horreur.

De même, Julien Courtin explique que nous avons une capacité de dissociation dans les salles de cinéma : « on est capable d’être assis dans une salle, mais de se dire qu’on est physiquement dans un état de non-danger ». Le principe d’extinction peut également apparaître : on s’habitue, on s’attend au choc de la surprise. La compréhension des mécanismes des films d’horreur peut également aider à ce phénomène :

  • Réalisme (found footage, des films tournés à la première personne)
  • Montage créant la surprise (smash cut, action coupée brutalement entre deux scènes pour souligner un contraste)
  • Atmosphère anxiogène (par exemple la musique iconique dans Psychose d’Alfred Hitchcock, sorti en 1960)

Julien Courtin mentionne également que des expériences chez les souris ont montré que nous serions capables de ressentir la peur des autres : le fear conditioning, par empathie, nous amène à nous mettre à la place d’un individu face à une situation de stress. Les salles de cinéma seraient ainsi propices à la terreur de groupe !

En résumé, l’expérience de la peur dépend de chacun de nous. C’est un sentiment puissant mettant notre corps à l’épreuve, dont le fonctionnement est toujours à l’étude aujourd’hui, notamment dans le cas de pathologies comme le trouble de stress post-traumatique. 

Solenn Buan