Comptes et Légendes, les origines de notre numération
Les nombres permettent de se repérer dans le temps, visualiser le prix d’un produit et sont utiles dans une infinité d’autres situations. Véritable outils universels utilisés quotidiennement, les nombres que nous utilisons sont le résultat de siècles d’évolution, et peuvent encore nous surprendre.
L’histoire nous montre qu’il existe plusieurs manières de compter. De nos jours, les normes de calcul et de numération sont largement instaurées mais cela n’exclut pas que les méthodes anciennes puissent encore présenter de l’intérêt. À en voir les origines de notre système, on en vient à réaliser que 57 est égal à 133 !
Graver pour se souvenir
L’origine des nombres vient du besoin de comptabilité, au sens strict du terme, c’est-à-dire de dénombrer et « savoir combien j’en ai » comme le détaille Marc Moyon, historien des mathématiques médiévales à l’université de Limoges. Mais l’être humain fait rapidement face à un obstacle physique : sa mémoire.
Pour conserver l’information, rien de mieux que de la matérialiser. Ainsi, un caillou, une encoche gravée sur un os ou du bois correspond à un mouton par exemple. On appelle ce système la numération unaire. Par une simple observation, il est possible de comparer des quantités : c’est la naissance du calcul.
Réunir pour mieux s’en sortir
Que faire lorsque ces quantités deviennent si importantes qu’il devient impossible de s’y retrouver ? Pour remédier à ce problème, l’être humain a eu la merveilleuse idée de réunir les unités par paquets, c’est ce que l’on appelle un système en base. Cela peut paraître une évidence aujourd’hui, mais à l’époque, c’est une amélioration qui bouleverse les techniques de comptabilité.
Vers 8000 avant J.-C., les sumériens, un peuple du sud de la Mésopotamie, eurent l’idée d’utiliser des jetons d’argile, aussi appelés calculi, dont la taille et la forme correspondaient à des valeurs. De cette façon, un petit cône valait un, une bille valait 10, un grand cône valait 60 et ainsi de suite.
Toujours en Mésopotamie, environ 4500 ans plus tard, apparaît l’écriture. Elle découle directement de deux pratiques : le dessin et la comptabilité. L’écriture cunéiforme correspond à l’inscription de chiffres sur des tablettes en argile à l’aide de la pointe d’un roseau. Ces tablettes constituent les premières traces connues de problèmes mathématiques.
L’écriture est un outil idéal pour répondre au problème de conservation de l’information. « Il est très probable que l’être humain ait eu besoin d’écrire à cause, ou plutôt, grâce aux mathématiques, c’est-à-dire la comptabilité. » explique Marc Moyon.
Très rapidement, les calculs vont se complexifier et donner lieu à la création de symboles et d’opérations arithmétiques. Peu importe la tradition, la langue ou les signes utilisés, cinq opérations se retrouvent dans toutes les civilisations : l’addition, la soustraction, la multiplication, la division et l’extraction de racine carrées. « Ce sont les techniques de base sur lesquelles toutes les mathématiques vont reposer ensuite », précise Marc Moyon.
La numérotation du diable
La base 60 (aussi appelée système sexagésimal) est utilisée pendant plusieurs millénaires, elle a marqué l’histoire et la science, laissant des traces qui « perdurent aujourd’hui dans notre système de mesure du temps », fait remarquer Marc Moyon (une minute équivaut à soixante secondes). En effet, il faut attendre longtemps avant de voir la base 10 (le système que l’on utilise actuellement) se généraliser. Au Moyen Age, l’Église s’oppose à l’utilisation de la base décimale et préfère le système de numération romaine. La raison à cette aversion : elle serait diabolique !
À cette époque, la société était habituée à la numération romaine. Jusqu’au 16e siècle, la comptabilité publique à l’obligation d’être rédigée à la méthode romaine, alors qu’au même moment la base 10 est utilisée en mathématiques, en arithmétique et par la plupart des marchands. Elle permet une simplification des opérations, ce qui explique son instauration dans les sciences et le commerce, malgré les oppositions de l’autorité religieuse.
Tellement assimilé qu'on en perd le sens !
Aujourd’hui, nous avons parfois tendance à oublier l’origine de notre numération. Les nombres nous sont si familiers, qu’à l’instar de la satiation verbale (phénomène psychologique où la répétition d’un mot aboutit à un effacement de sa signification, et donne l’impression de ne voir qu’un ensemble de signes), on finit par ne plus percevoir leur nature. Mais cela nous permet de réaliser une chose : les chiffres ne sont que des signes et si l’on regarde en arrière, il est possible de prouver que 57 (alors exprimé en base 10) est égal à 133 (exprimé en base six) ! Ainsi, les mathématiques sont peut-être moins rigides qu’on ne le croit.
Marion Lubac