Du sucre… à n’en plus vieillir ?

Condiment incontournable de l’alimentation contemporaine, le sucre est accusé de favoriser l’obésité et diverses maladies chroniques, notamment par sa surconsommation. Mais alors qu’il pourrait aussi freiner la réparation des cellules de la peau, certaines protéines offrent un espoir. Pourrait-on bientôt consommer du sucre en limitant ses effets sur le vieillissement ?

Le sucre est consommé depuis plusieurs millénaires. Il trouve ses origines dans les îles du Pacifique ainsi qu’en Asie, notamment en Chine et en Inde, où la canne à sucre était connue et utilisée par les populations locales. Il connaît son essor en Europe à partir de la Renaissance, grâce à son exploitation en Amérique, où il reste un produit rare présent à la table des élites. 

Catalyseur d’un problème de santé mondial

Initialement utilisé pour des effets thérapeutiques, le sucre de canne puis de betterave s’est imposé peu à peu dans l’alimentation occidentale, jusqu’à y être omniprésent à partir du 20e siècle. Sa consommation est aujourd’hui mondialisée : on retrouve du sucre ou du sirop de glucose dans toutes les cuisines du monde, y compris dans les plats industriels préparés. En France, un enfant consomme en moyenne 95 grammes de sucre par jour et un adulte 65 g/j, bien au-delà des 50 g/jour recommandés par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé). Couplé à un mode de vie de plus en plus sédentarisé, il est accusé de contribuer à la hausse de l’obésité et de diverses maladies chroniques telles que le diabète de type 2 ou les maladies cardiovasculaires.

Les fibroblastes avec une forte concentration de sucre présentent un vieillissement accéléré.
Seyta Ley-Ngardigal
Sucre roux en morceaux © Oleksandr Melnichuk / Pixabay
Sucre roux en morceaux © Oleksandr Melnichuk / Pixabay

La peau, autre victime des glucides

Le glucose, principale source énergétique de notre corps, est également suspecté d’altérer les cellules de la peau. C’est Seyta Ley-Ngardigal, chercheuse au laboratoire Maladies rares : Génétique et Métabolismes (MRGM – INSERM, université de Bordeaux) qui a mis en évidence ces propriétés lors de sa thèse soutenue en 2024.

Le glucose ingéré atteint les cellules de la peau via les capillaires sanguins des tissus cutanés profonds. Une fois dans les cellules, il est dégradé par glycolyse, qui est la dégradation du glucose d’un organisme vivant sous l’action d’enzymes en pyruvate, une molécule clé utilisée pour produire l’énergie cellulaire.

Seyta Ley-Ngardigal a démontré par une expérimentation in vitro que les fibroblastes, cellules essentielles à la cicatrisation, voient une modification de leur fonctionnement et régénèrent moins efficacement la peau en situation de glucotoxicité (forte concentration de sucre). Et pour cause, les bactéries aiment le glucose et prolifèrent plus vite lorsque sa concentration est importante. C’est l’une des raisons pour lesquelles les personnes diabétiques ont des problèmes de cicatrisation : les cellules de leur peau sont trop « sucrées ».

Les fibroblastes sécrètent différemment les collagènes (de I à VI), l’élastine et l’acide hyaluronique, plusieurs petites protéines que nous retrouvons dans la peau et qui, par leur diminution, vont provoquer l’apparition de rides. Pour cause, « les fibroblastes avec une forte concentration de sucre, quand bien même ils sont jeunes, […] présentent le même phénotype qu’une peau dite « mature », leur vieillissement est accéléré » relate la scientifique.

Pour résoudre ce problème, elle a identifié une cascade de protéines liées à la concentration de glucose, dont deux principales : GDF15 (« Growth Differentiation Factor 15 », en français « Facteur de Différenciation et de Croissance 15 ») et MTERF3 (« Mitochondrial Transcription Termination Factor  3 », en français « Facteur de Terminaison de la Transcription Mitochondriale 3 »).

Ces protéines ont pour particularité d’être métaboliques (elles agissent sur les réactions ayant lieu à l’intérieur de la cellule) et non exclusivement cutanées comme la plupart des protéines traitées en cosmétique. Ces protéines ne sont pas spécifiques à la peau et y sont peu exprimées, mais elles interviennent en régulant la production des protéines essentielles à sa régénération.

Cependant, lorsque la concentration de glucose est élevée dans les fibroblastes, la concentration cutanée de GDF15 et MTERF3 ainsi que leurs cibles sont dérégulées. Plus précisément, la protéine GDF15 diminue en concentration.

Image de peau en immunofluorescence. L'épiderme et ses différentes couches apparaissent en rose. Le derme, avec ses fibres de collagène, apparaît en gris et jaune. Les noyaux des cellules (kératinocytes dans l'épiderme / fibroplastes dans le derme) apparaissent en bleu. © Seyta LEY-NGARDIGAL
Image de peau en immunofluorescence. L'épiderme et ses différentes couches apparaissent en rose. Le derme, avec ses fibres de collagène, apparaît en gris et jaune. Les noyaux des cellules (kératinocytes dans l'épiderme / fibroplastes dans le derme) apparaissent en bleu. © Seyta LEY-NGARDIGAL

Les « poules aux œufs d’or » des fabricants de cosmétiques ?

Rajouter des protéines GDF15 et MTERF3 dans les cellules de peau pourrait contrer l’apparition de rides. Mais la biologie cellulaire n’est malheureusement pas aussi simple. « Une équipe chinoise a mis en évidence que cette protéine GDF15, lorsqu’elle est surexprimée dans la peau par des vieux fibroblastes, est la cause de l’apparition de taches brunes » explique la chercheuse. Un facteur qui peut déplaire aux créateurs de cosmétiques…

Les recherches sur ces protéines se poursuivent et pourraient déboucher sur le développement de nouveaux produits, en tirant parti des autres molécules identifiées dans la cascade par Seyta Ley-Ngardigal, afin de réduire les rides et atténuer les effets de notre consommation de sucre. Du moins, en ce qui concerne l’apparence de notre peau.

Erwan Le Gac