Quand atmosphère rime avec enfer

Vénus a beau être la planète la plus proche de la Terre, sa surface reste largement inexplorée par les agences spatiales. Elle demeure dissimulée aux regards comme aux télescopes par une atmosphère épaisse, 92 fois plus dense que celle de la Terre. Quelles sont donc les origines de cette chape de plomb recouvrant notre voisine ?

Vous l’avez peut-être déjà vue par une nuit claire en pleine campagne. Vénus, surnommée « l’Étoile du berger », est l’astre le plus brillant du ciel nocturne. Elle est aussi la seconde planète de notre système par son éloignement au Soleil. Parfois qualifiée également de « jumelle de la Terre », elle porte pourtant bien mal ce second surnom. Pour s’en rendre compte, il faut examiner son atmosphère bien particulière.

« À la surface de Vénus, il y a une pression 92 fois plus importante que sur Terre » explique Jérémy Leconte, chargé de recherche CNRS au Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux (LAB) et spécialiste des atmosphères et des climats planétaires. Sa composition diffère radicalement de celle de la Terre, dominée par l’azote et l’oxygène. La sienne est « dominée par le dioxyde de carbone (CO2) », détaille le chercheur, duquel résulte un effet de serre surpuissant. La température moyenne en surface dépasse ainsi les 460 °C !

Sous son épaisse couche de nuages, Vénus révèle une surface accidentée et stérile. Photographie composite de l'hémisphère nord de Vénus, reconstituée à partir des données de la sonde spatiale Magellan.
Sous son épaisse couche de nuages, Vénus révèle une surface accidentée et stérile. Photographie composite de l'hémisphère nord de Vénus, reconstituée à partir des données de la sonde spatiale Magellan. © NASA - JPL
Le cycle des carbonates-silicates joue un rôle clé dans le cycle du carbone.
Le cycle des carbonates-silicates joue un rôle clé dans le cycle du carbone. © Maxime Flouriot

« Sur Terre, il y a un cycle du carbone .»

Ce portrait apocalyptique contraste avec l’environnement terrien. Cela dit, il pourrait y avoir autant de carbone dans le manteau terrestre que dans l’atmosphère de sa jumelle. Seulement, Vénus n’a pas de cycle du carbone comme la Terre. S’il y a bien sûr des phénomènes naturels comme le volcanisme qui ajoutent du CO2 dans l’atmosphère, il en existe qui, « au contraire, séquestrent ce carbone », décrit Jérémy Leconte.

On pense aux puits de carbone que sont les océans et les forêts. Mais au sein même de ces écosystèmes, des organismes et/ou des processus chimiques y contribuent également. Par réactions chimiques successives, le carbone finit par atteindre le manteau d’où il pourra ressortir via l’activité volcanique, ce qui boucle le cycle. Le CO2 agit ainsi comme une sorte de thermostat pour l’ensemble du système climatique terrestre.
 

 

On a des preuves qu’il y a eu de l’eau liquide à tous les âges de la Terre, quasiment depuis sa naissance.
Jérémy Leconte

Des océans sur Vénus ?

L’eau liquide est déterminante pour comprendre les différences entre les deux planètes. « On a des preuves qu’il y a eu de l’eau liquide à tous les âges de la Terre, quasiment depuis sa naissance », développe Jérémy Leconte. Or l’eau transite elle aussi au sein d’un cycle sur Terre. À l’état de vapeur, elle est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2. Seulement, sa concentration atmosphérique dépend elle-même de la température : plus l’atmosphère est chaude, plus elle peut contenir de vapeur d’eau et vice-versa. Autrement dit, la vapeur d’eau peut amplifier un changement climatique déjà en cours, mais l’équilibre du cycle de l’eau sur Terre ne lui permet pas de provoquer un changement à elle seule. 

Jérémy Leconte a justement réalisé une étude collaborative en 2021, basée sur des simulations. Ces dernières ont montré que, en dépit de conditions initiales très proches de celles de la Terre, aucun océan n’aurait pu se former sur Vénus. Ainsi, contrairement à la vapeur d’eau terrestre qui a pu se condenser en océans à mesure que la planète a refroidi, celle de Vénus est restée à l’état gazeux, entraînant un effet boule de neige pour son effet de serre.

Encore beaucoup de zones d’ombre

« Nous sommes en train de travailler avec un étudiant en thèse, pour déterminer si cela aurait pu laisser des traces dans les roches vénusiennes ou dans l’atmosphère », détaille Jérémy Leconte. Les premiers indices obtenus lors des missions spatiales soviétiques Venera (années 1960 – 1970) pointent vers le scénario susmentionné. Au début de son histoire, les émissions de rayons UV et X du Soleil étaient très intenses. Or ces « rayons-là sont assez forts pour casser la molécule d’eau (H2O) dans la haute atmosphère de Vénus », ajoute le spécialiste des atmosphères.

Il y aurait donc eu une perte progressive de vapeur d’eau dans l’atmosphère, au profit du CO2. Les atomes d’hydrogène étant très légers, ils se seraient échappés de l’atmosphère. Cette hypothèse est corroborée par le taux élevé de deutérium (isotope de l’hydrogène comptant 1 neutron + 1 proton) par rapport à l’hydrogène. Étant plus lourd que le noyau d’hydrogène, le deutérium ne s’échappe pas aussi facilement de l’atmosphère vénusienne.

Malheureusement, on manque encore de données sur Vénus. « Les quelques sondes qui sont rentrées dans l’atmosphère n’ont pas résisté très longtemps », relate Jérémy Leconte. Les conditions extrêmes à la surface rendent très difficile l’obtention de données sur la basse atmosphère, ce à quoi pourront pallier les futures missions. Elles mèneront également des mesures radar plus précises pour déterminer si la planète a encore une activité géologique ou pour savoir quand elle se serait arrêtée.

 

Maxime Flouriot