Sous l’œil du linguiste
Qu’elle soit écrite ou seulement orale, la langue est l’un des principaux instruments de communication. En usant de méthodes parfois nouvelles, les linguistes tentent d’en comprendre les subtilités d’apparition et d’évolution.
Si vous lisez cet article, il y a fort à parier que le français est votre langue maternelle. À minima, vous êtes capable de le comprendre, d’en saisir les signes graphiques (et très probablement vocaux) qui vous permettent d’échanger avec les autres locuteurs et locutrices de cette langue. Une heureuse coïncidence lorsque l’on sait qu’il existe plus de 8000 langues répertoriées à travers le monde dont seule une partie dispose d’un système de transcription graphique, indispensable à la transmission d’informations par des supports écrits. Mais le français qui nous permet de communiquer aujourd’hui n’est cependant pas celui d’hier.
Des mots façonnés par l’environnement
Substitution de voyelles, changements d’orthographes, apparition ou disparition de mots dans le vocabulaire des locuteurs… Les modifications de la langue sont de nature diverse et leurs causes peuvent être naturelles ou non. Les modifications naturelles sculptent les sons de la langue, influencées par le contexte culturel et l’environnement des locuteurs. Par exemple, on retrouve en mandarin des « tons », des modulations fines des voyelles qui en changent le son et le sens. Ces procédés sont plus rares dans les zones plus arides où leur prononciation s’avérerait plus ardue, en raison des conditions climatiques.
De même, les peuples vivant en haute altitude ne font pas toujours de distinction entre les mots « brouillard » et « nuage », les deux phénomènes y étant confondus. Ainsi, les sons et les mots qui composent les langues sont le reflet de leur contexte d’élaboration.
Des liens de parenté entre les langues
Lorsque les linguistes considèrent une modification comme non-naturelle, c’est qu’elle a été prescrite par l’humain. Lors des phénomènes de colonisation européenne, des langues sont parfois interdites, ou du moins leurs usages peuvent être contrôlés. Les langues ainsi visées peuvent disparaître partiellement ou complètement. On peut aussi dans d’autres cas assister à la naissance de créoles, de nouveaux dialectes locaux issus des mélanges culturels entre le peuple colonisé et le peuple colonisateur. Ces associations peuvent aussi survenir suite à des échanges commerciaux entre groupes ayant des langues différentes.
Dans certains cas, l’arrivée d’une nouvelle langue sur un territoire ne remplace pas les langues initialement présentes. C’est le cas du basque, qui est « considéré par certaines études comme une des anciennes langues locales déjà présentes en Europe de l’Ouest lors de l’arrivée des locuteurs du proto-indo-européen », explique Marc Allassonnière-Tang, linguiste au laboratoire Éco-Anthropologie (CNRS / MNHN / Université Paris Cité). C’est une fois le proto-indo-européen installé que les différenciations ont ensuite commencé vers les langues qui ont donné naissance aux langues connues aujourd’hui dans ces régions.
Car si toutes les langues connues se différencient par rapport à une langue déjà existante, c’est que l’on considère des liens de parenté entre ces langues. Il y aurait donc des « ancêtres », comme le proto-indo-européen, duquel auraient découlé les langues indo-européennes plus récentes, comme le grec ancien, le latin puis le français.
Néanmoins, les relations entre les différentes langues de la planète demeurent complexes et le travail des linguistes pour reconstituer leur histoire se confronte à de nombreux obstacles.
De nouveaux défis pour les linguistes
Les scientifiques spécialistes de l’étude des langues peuvent utiliser de nombreux outils dans leur travail, comme l’enregistrement de locuteurs et locutrices. Pour étudier les langues disparues, il faut utiliser d’autres moyens. « L’archéologie peut nous permettre de retrouver les premières traces d’écriture, explique Marc Allassonnière-Tang. En fonction du lieu de récolte du manuscrit ou de la tablette support du texte, on peut en apprendre plus sur la localisation des dialectes anciens et leur évolution en relation avec les déplacements des populations ».
Il n’est cependant pas toujours aisé de trouver de tels vestiges. Ainsi, il est parfois plus utile d’utiliser des méthodes proches de celles employées en génétique : comme on connaît le rythme des évolutions linguistiques, on peut déduire l’époque à laquelle deux langues « filles » se sont différenciées d’une même langue « mère ».
Le travail d’étude des langues nécessite donc des outils en constante évolution, pour s’adapter aux nouvelles théories, mais aussi pour ne pas perdre le fil des mutations linguistiques futures, qui continueront tant que l’humain se déplacera, évoluera et que les différents groupes ethniques échangeront entre eux.
Virgile Charenat